L’infamie. La participation catalane à l’esclavage colonial. 2025 — Dramaturgie

Une société ne peut être considérée comme mature tant qu’elle n’affronte pas et n’apprend pas de son passé, car la mémoire est la clé pour construire un avenir plus juste et plus conscient.  

Tout au long de ma carrière professionnelle, j’ai travaillé sur divers projets avec la volonté de réparer et de faire ressurgir des événements traumatiques qui ont marqué une collectivité et, par conséquent, la société dans son ensemble. Ce projet met en lumière un passé pas si lointain.  

Le commerce des esclaves, une activité extrêmement lucrative dans la Catalogne et l’Espagne du XIXe siècle, fut une tragédie humaine qui perdura jusqu’à son abolition. Ce commerce enrichit une élite de l’époque et eut un impact direct sur l’économie locale : théâtres, bâtiments et infrastructures publiques bénéficièrent du commerce des matières premières en provenance de Cuba et d’autres pays d’Amérique.  

La mise en scène de cette exposition est une invitation à voyager à travers l’histoire et à redécouvrir le parcours des personnes réduites en esclavage. Afin de renforcer l’impact du récit grâce à une structure dramatique, j’ai conçu les espaces comme une métaphore qui nous aide à comprendre le fonctionnement de la société de l’époque.

Le parcours de l’exposition débute lorsque le visiteur se retrouve face à l’arrière d’un décor théâtral, où un rideau d’acier dissimule la salle. La représentation commence lorsqu’il franchit une petite porte menant au cœur d’une salle de théâtre qui évoque l’hémicycle du Liceu de Barcelone, cet espace commun où se réunissait la bourgeoisie de l’époque. Cette métaphore du « théâtre du XIXe siècle » permet de saisir comment la vie se développait à différents niveaux, dans une société apparemment bien-pensante, mais régie par des intérêts économiques qui, dans ce contexte, violaient les droits humains.

L’intention, en concevant cette salle, n’a pas été de créer un espace chaleureux et accueillant, mais plutôt de transmettre une sensation d’inconfort. Une unique lampe à gaz de sodium inonde l’ensemble de l’espace d’une lumière oppressante, tandis que les murs présentent un mémorial dédié à certaines figures illustres responsables du trafic d’êtres humains. En portant le regard vers la scène, on découvre que la pièce jouée est l’Exposition universelle de 1888, symbole de la prospérité économique atteinte grâce au commerce lucratif des esclaves.

Ce grand théâtre de la vie et de l’hypocrisie nous conduit vers un autre espace. En franchissant la porte de la salle, nous accédons au deuxième acte, où se dévoile le processus tragique de chasse, de capture et de déportation des populations du continent africain destinées à l’esclavage. L’exposition montre les conditions effroyables de leur voyage vers l’Amérique, où leurs vies ont pris fin, ainsi que le dur labeur dans les Ingenios, véritables camps de concentration et de travail forcé où étaient transformés la canne à sucre, le café et le coton, engrangeant des profits considérables pour les affaires outre-mer.

Cet espace transmet une sensation de claustrophobie. Des grilles, retirées pour exposer une maquette de l’Ingenio Flor de Cuba, illustrent le sort final des esclaves qui périrent dans ces usines.

L’abolition de l’esclavage est représentée par une installation dans un troisième acte : une boîte scénique entourée de miroirs et illuminée par une lumière zénithale blanche qui met en valeur les restes de ces grilles. Le reflet périphérique crée l’illusion d’un océan de liberté et de chaînes brisées, suggérant un chemin vers le retour.

La cinéaste Sally Fenaux dresse un grand mur à la fin du parcours – un mur que nous avions déjà entrevu en traversant le rideau d’acier du début – et, à travers une œuvre audiovisuelle, nous invite à réfléchir sur le racisme qui perdure, sombre héritage de cette infamie.

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Institution promotrice : Museu Marítim de Barcelona

© Photographies : Pepo Segura